Alan Sellathamby a été diplômé de l’Université de Toronto il y a quatre ans. Armé d’un diplôme en sciences politiques et en philosophie, il a parcouru les annonces d’emploi dans l’espoir de décrocher un poste d’analyste d’entrée de gamme de la fonction publique, peut-être analyste politique junior, ou même un poste dans un bureau des passeports. Mais à la suite de la Grande Récession, ses perspectives étaient sombres. « Pour n’importe lequel des emplois que je cherchais, quelqu’un voulait un candidat avec une expérience dans le domaine, » dit-il. « Même si c’était une position d’entrée de gamme, ils veulent une expérience de deux ou trois ans. »
Nous effectuons une avance rapide jusqu’en 2014 et cela a peu changé. L’économie est meilleure, mais Sellathamby travaille toujours dans la même librairie, ce qu’il a fait pendant ses études universitaires. Et il est l’un des plus chanceux. Le taux de chômage des jeunes reste bloqué à 13,4%, soit environ le double du taux de chômage global.
Sellathamby n’était pas assez naïf pour penser que son diplôme de baccalauréat allait lui garantir un poste bien rémunéré, axé sur sa carrière tout droit sorti de l’école. Mais avec tous les discours de panique sur une pénurie imminente de compétences alors que les baby-boomers prennent leur retraite, il ne pensait pas qu’il serait ignoré. Plus frustrant encore, les « compétences » qui le séparent de cette importante première place semblent être le genre de chose qui pourrait être repris avec quelques semaines de formation sur le tas.
En effet, il y a peu de preuves démontrant que les employeurs soient prêts à former de nouvelles recrues-ou qui que ce soit. Malgré les plaintes au sujet d’une pénurie de travailleurs qualifiés, des études indiquent que les dépenses des entreprises en matière de formation ont été en baisse constante depuis les deux dernières décennies. Le Canada est également près de la queue du peloton quand il s’agit de la participation des adultes à la formation liée à l’emploi non-formel (résultant en aucun diplôme ou certificat), loin derrière plusieurs pays européens et aux Etats-Unis. Les experts disent que le phénomène curieux contribue à des taux extrêmement bas de la productivité du Canada, puisque les travailleurs bien formés ont tendance à faire leur travail plus efficacement.
Les experts disent que le Canada, pour toutes ses lamentations sur l’économie, fait un travail lamentable de suivi de l’important marché du travail. Nous savons très peu de choses sur qui embauche, les compétences qu’ils recherchent et comment les diplômés de programmes spécifiques réussissent dans le monde réel. Don Drummond, ancien économiste en chef de l’une des grandes banques du Canada et maintenant professeur adjoint à l’Université Queen, fait valoir que la véritable crise peut être l’une de l’ignorance.
Selon à qui vous parlez, le marché du travail du Canada va soit à travers une période difficile prolongée ou est fondamentalement cassé. Le taux de chômage global reste élevé à 7%, alors même que les entreprises dans un éventail d’industries, de la technologie de l’information pour les ressources naturelles, se plaignent qu’ils ne peuvent pas trouver suffisamment de travailleurs qualifiés pour combler les postes annoncés. La situation a été surnommée un « manque de compétences » ou « inadéquation des compétences » et a soulevé des questions quant à savoir si le système d’éducation du Canada est devenu trop universitaire, pompant des milliers de diplômés ayant un diplôme en arts libéraux, alors que les employeurs cherchent réellement des techniciens et des gens de métier.
Le Programme des travailleurs étrangers temporaires d’Ottawa a permis à certains employeurs peu scrupuleux de contourner les travailleurs canadiens disponibles en faveur des étrangers moins chers. Un rapport plus tôt cette année par le C.D. Howe Institute a déclaré que le programme, depuis remanié, avait gonflé à 338 000 participants en 2012, contre 101 000 10 ans plus tôt et avait en fait aidé à accélérer le chômage dans les provinces de l’Ouest.
Déterminer où sont les emplois n’est pas facile non plus. À l’heure actuelle, les données sur les postes vacants sont agrégées au niveau provincial par le biais d’une enquête emploi, la rémunération et les heures de 15 000 employeurs. Mais il ne suffit pas de comprendre ce qui se passe dans de nombreuses industries, en laissant professions individuelles seules. L’information sur les salaires fait défaut, aussi. Elle est glanée de l’enquête sur la population active de Statistique Canada, qui contacte 56 000 ménages à travers le pays.
Les critiques ont râlé sur la volonté d’Ottawa de lancer des politiques du travail de balayage sur la base d’une compréhension superficielle du marché. En plus de sabrer le budget de Statistique Canada, le gouvernement fédéral a également essuyé des tirs en s’appuyant sur des outils logiciels non conventionnels pour analyser les annonces d’emploi en ligne comme Kijiji, où les mêmes positions peuvent être affichées plus d’une fois. En réponse, le ministre de l’emploi, Jason Kenney, a promis de mettre 14 millions de dollars annuellement sur les nouvelles enquêtes sur le marché du travail, plus robustes.
Pendant ce temps, les décideurs et les étudiants seront obligés de s’appuyer sur un méli-mélo d’enquêtes d’emploi tierces, des informations anecdotiques et leur instinct pour comprendre comment l’emploi dans notre pays fonctionne. Cela, à son tour, stimule la probabilité que les diplômés sans emploi vont continuer à dépenser des milliers sur des programmes inutiles ou mal adaptés, se bousculant pour prendre pied sur l’échelle de carrière. Sana Khan, une conseillère en carrière, dit qu’elle est souvent étonnée de voir la longue liste des titres et diplômes que certaines personnes ont recueillis avec rien à montrer pour les appuyer. « Je regarde des curriculum vitae et il y a quatre programmes », dit-elle. « Ils sont allés à l’université et un collège et un autre collège. Cela me fait peur. Je me demande qu’est-ce qu’ils font. » Elle ajoute que l’engagement des employeurs pour plus de formation, des programmes Coop et des stages rémunérés serait un grand progrès vers la réduction du problème. « Il y a un énorme décalage entre les employeurs et les étudiants. »
Sellathamby, pour sa part, retourne à l’école, cette fois dans un programme de politique publique à l’Université Concordia, car il inclut un stage d’emploi. Mais il ne peut s’empêcher de sentir que c’est simplement un moyen coûteux pour pouvoir mettre son pied dans la porte, en supposant, bien sûr, qu’il prend la bonne porte en premier lieu. Il doit y avoir un moyen plus facile, selon lui.
Source: Macleans